Une féodalité nouvelle
Avant de fonder une compagnie professionnelle en 1981, je dénonçais déjà depuis plusieurs années certaines pratiques monarchiques dans la culture et refusais toute soumission à l'art officiel, militant pour un art libre, généreux, revendicatif et accessible à tous.
Les lois successives pour la décentralisation, celle de Deferre en 1982, – si louables fussent-elles – produisirent des effets pervers et ravageurs créant une féodalité nouvelle. Tout pouvoir ne peut conduire qu'à des abus, instaurant le règne des égoïstes et des méchants, expérience éternelle de tout homme que Montesquieu avait si bien formulée. Malraux, qui fut aussi ministre, y voyait même sa raison d'être, le pouvoir ne se définissant que par la possibilité d'en abuser.
L'avènement des drac avec leur cortège de doctrinaires affairistes confirma douloureusement l'adage.
Avant de fonder une compagnie professionnelle en 1981, je dénonçais déjà depuis plusieurs années certaines pratiques monarchiques dans la culture et refusais toute soumission à l'art officiel, militant pour un art libre, généreux, revendicatif et accessible à tous.
Les lois successives pour la décentralisation, celle de Deferre en 1982, – si louables fussent-elles – produisirent des effets pervers et ravageurs créant une féodalité nouvelle. Tout pouvoir ne peut conduire qu'à des abus, instaurant le règne des égoïstes et des méchants, expérience éternelle de tout homme que Montesquieu avait si bien formulée. Malraux, qui fut aussi ministre, y voyait même sa raison d'être, le pouvoir ne se définissant que par la possibilité d'en abuser.
L'avènement des drac avec leur cortège de doctrinaires affairistes confirma douloureusement l'adage.
Où donc est la gloire que les puissants vaniteux de la terre cherchent à éterniser ? Oh ! le plus faible bruit fait par le pas léger du temps, la plus petite vague qui enfle le courant des âges réduit à rien cette bulle vide.
Percy Shelley, La reine Mab |
Ne pas être indifférent à la souffrance de ses ennemis
Menaces, propos malveillants, chantage, tracasseries administratives, entraves économiques, censure et toutes sortes de tentatives révélatrices de ce que Bourdieu appelle la violence symbolique, le milieu institutionnel régional de la culture a tout essayé pendant dix ans pour éliminer un artiste libre et la compagnie qu'il animait. En vain. Ma rage, ma détermination, ma liberté de pensée et de parole, mon combat me vaudront la sympathie d'un ministre, l'écoute de deux préfets, l'amitié de l'un des deux, le soutien courageux de quelques politiques et responsables culturels – oh ! peu nombreux, tant d'entre eux se sont couchés ! – et surtout – le plus important, l'essentiel ! –, la reconnaissance et la fidélité du public. Et c'est à la fin de ces années de braise que se produisit un superbe coup de théâtre. Un ministre de la culture – un autre, ami et disciple de celui précité – voulut me faire chevalier dans l'ordre national des arts et des lettres. Consternation dans les arrières-boutiques provinciales ! Bien que j'aie toujours eu en horreur les honneurs et les distinctions, j'acceptai. Par pure provocation bien entendu, mais certain aussi qu'il faut considérer ses ennemis, ne pas les mépriser, être généreux, ne pas être indifférent à leur souffrance, ne pas ajouter à leur douleur, les avoir en une sorte d'affection. Mais malgré mes valeureux efforts, le combat cessa faute de combattants. Quelques années plus tard, depuis son bureau douillet à l'étage d'un hôtel particulier, un tout petit hobereau pétri de vanité, entouré de sa cour d'ilotes satisfaits, tenta bien de raviver la flamme et s'essaya à quelques coups tordus, mais sans talent et sans courage, l'entreprise échoua piètrement.
Les conflits d'intérêt sont la praxis ordinaire
Aujourd'hui, réelle est la prise de pouvoir par des intermédiaires et des opportunistes, experts en inculture rassemblés en comités, vrais clubs de copains dans lesquels chacun est juge et partie et où les conflits d'intérêt sont la praxis ordinaire, courtisés par des artistes serviles, des salonnards carriéristes et des snobs sans élégance. Les effets obtenus sont effrayants : formatage de l'action culturelle, instauration d'une pensée normative dominante et mise en coupe réglée des artistes survivants.
La mort — certes très lente mais inéluctable — des drac est annoncée. Bon débarras. Leur disparition signifierait la fin des potentats et de leur idéologie mortifère. Ce serait un nouvel effet retors, à rebours curieusement, de la décentralisation. Cette fois, qui s'en plaindrait ? Mais si le transfert des missions se fait au profit d'officines occultes au sein des Conseils régionaux, alors nous connaîtrons un nouveau recul démocratique.
M.M. 01/2015
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Menaces, propos malveillants, chantage, tracasseries administratives, entraves économiques, censure et toutes sortes de tentatives révélatrices de ce que Bourdieu appelle la violence symbolique, le milieu institutionnel régional de la culture a tout essayé pendant dix ans pour éliminer un artiste libre et la compagnie qu'il animait. En vain. Ma rage, ma détermination, ma liberté de pensée et de parole, mon combat me vaudront la sympathie d'un ministre, l'écoute de deux préfets, l'amitié de l'un des deux, le soutien courageux de quelques politiques et responsables culturels – oh ! peu nombreux, tant d'entre eux se sont couchés ! – et surtout – le plus important, l'essentiel ! –, la reconnaissance et la fidélité du public. Et c'est à la fin de ces années de braise que se produisit un superbe coup de théâtre. Un ministre de la culture – un autre, ami et disciple de celui précité – voulut me faire chevalier dans l'ordre national des arts et des lettres. Consternation dans les arrières-boutiques provinciales ! Bien que j'aie toujours eu en horreur les honneurs et les distinctions, j'acceptai. Par pure provocation bien entendu, mais certain aussi qu'il faut considérer ses ennemis, ne pas les mépriser, être généreux, ne pas être indifférent à leur souffrance, ne pas ajouter à leur douleur, les avoir en une sorte d'affection. Mais malgré mes valeureux efforts, le combat cessa faute de combattants. Quelques années plus tard, depuis son bureau douillet à l'étage d'un hôtel particulier, un tout petit hobereau pétri de vanité, entouré de sa cour d'ilotes satisfaits, tenta bien de raviver la flamme et s'essaya à quelques coups tordus, mais sans talent et sans courage, l'entreprise échoua piètrement.
Les conflits d'intérêt sont la praxis ordinaire
Aujourd'hui, réelle est la prise de pouvoir par des intermédiaires et des opportunistes, experts en inculture rassemblés en comités, vrais clubs de copains dans lesquels chacun est juge et partie et où les conflits d'intérêt sont la praxis ordinaire, courtisés par des artistes serviles, des salonnards carriéristes et des snobs sans élégance. Les effets obtenus sont effrayants : formatage de l'action culturelle, instauration d'une pensée normative dominante et mise en coupe réglée des artistes survivants.
La mort — certes très lente mais inéluctable — des drac est annoncée. Bon débarras. Leur disparition signifierait la fin des potentats et de leur idéologie mortifère. Ce serait un nouvel effet retors, à rebours curieusement, de la décentralisation. Cette fois, qui s'en plaindrait ? Mais si le transfert des missions se fait au profit d'officines occultes au sein des Conseils régionaux, alors nous connaîtrons un nouveau recul démocratique.
M.M. 01/2015
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