LA MOISSON DE THERMIDOR
Scènes de la Révolution dans les Ardennes 1788-1794
Scènes de la Révolution dans les Ardennes 1788-1794
Pièce écrite et mise en scène par Michel Mélin
Recherches historiques de Michel Cart
La Révolution Française ne fut pas, comme l'affirmait Taine, un accès de délire alcoolique. Niaiserie et basse tromperie de ne considérer jamais que la fureur des hommes sans en apercevoir et révéler les causes.
L'Ancien Régime avait chauffé à blanc dans le cœur des Français la haine de l'inégalité et l'amour de la liberté. Dans la conjoncture économique et sociale très douloureuse de 1788 et 1789, le vent des idées philosophiques soufflant depuis près d'un siècle, inévitable était l'embrasement des passions. À Paris, le brasier fut d'une rare violence et alimenté sans cesse par les querelles de factions rivales, les complots d'émigrés, les luttes pour le pouvoir, les anathèmes politiques et mille autres drames individuels ou collectifs. Mais cessons de voir l'histoire de la Révolution «d'en haut», seulement à travers les Assemblées, les Comités, les ténors et les tribuns. Élitisme et parisianisme, marécage fangeux où finiront par se noyer tous les dogmatiques. À l'instar de Michelet, poète autant qu'historien, rendons au peuple sa vraie place : celle du plus grand et du plus sincère des acteurs de cette révolution. Vivre l'Histoire en vivant la passion du peuple des villes et des campagnes, au jour le jour, avec romantisme s'il le faut. Pourquoi pas ? La générosité sera toujours une idée neuve bonne à défendre. |
La France de 1789 est essentiellement rurale. Les Ardennes aussi bien sûr. Plus quelques milliers d'ouvriers du textile et déjà beaucoup de chômeurs. Ici, comme dans tout le Royaume, l'inégalité entre les hommes est le signe distinctif du régime féodal qui sévit durement. Si l'on n'a pas assisté dans les Ardennes à de grandes jaqueries, lidée de liberté et le sens de la justice ne s'y étaient pas moins affirmés qu'ailleurs comme en témoignent les cahiers de doléances.
Loin de l'agitation parisienne où l'on tranchait les différends à coups de «rasoir national», la campagne vivait au rythme des saisons, des semailles et moissons. Parfois dans l'incompréhension des réformes pourtant nécessaires mais appliquées dans la hâte fougueuse qu'a une société nouvelle de s'affirmer et de se défendre. Parfois aussi avec cette lenteur réfléchie, cette patience têtue, apprises au fil des jours de peine. Mais toujours supportant quotidiennement tant de privations et de souffrances, livrant son grain aux armées, donnant ses fils à la patrie pour que vivent la Liberté et la République. |
Les masses paysannes, comme le démontre si bien Georges Lefebvre, leur premier grand historien, dans ses écrits sur Les paysans du Nord, ont compris intuitivement le sens de l'Histoire en marche et qu'il y avait des conditions inéluctables à la réalisation de cette marche en avant. Ce fut la fin du fatalisme, cimetière de la pensée et de la volonté.
Comment vais-je écrire La moisson de thermidor ? Peu importe la méthode. Peu importe peut-être même qu'il y ait une méthode. Il faut vivre l'Histoire et la rendre vivante au public. Je sens déjà le froid si épouvantable de l'hiver 88-89 où, comme le notait dans son journal, André Hubert Dameras, un manouvrier, le vin et le cidre gelaient dans les caves. Sur la place du village, on a mangé et chanté ; on a fêté l'abolition des droits des seigneurs. À la porte tous les fainéants qui s'engraissaient de notre sang et de notre sueur ! J'entends les cris de cette paysanne qui vient d'apprendre que son homme est mort, là-bas, très loin, sur le Rhin. Je vois cet enfant, son cœur de dix ans consumé, le regard déjà dur, qui va devoir reprendre le fardeau du père. Est-ce le vent qui gémit en se déchirant sur les pierres de l'Ardenne ou des plaintes qui s'élèvent de la prison du Mont-Dieu ? Dans les derniers jours de juillet — de thermidor, pardon —, les blés courbent la tête. La moisson sera belle. |
Salut et fraternité à Michel Cart, historien à l'intelligence raffinée et imaginative, sans qui je n'aurais sans doute pas accepté d'écrire cette Moisson, reculant, effrayé, devant l'abîme de mon ignorance. Ses recherches, ses publications, ses analyses nourrissent à satiété mon travail de création dramatique. Maintenant ce ne sera peut-être pas si terrible d'écrire cette pièce.
«Terrible», j'allais oublier. Bien sûr que la Terreur sera évoquée, sans justifier aucunement ses abus certes, mais aussi sans jugements à priori. La Révolution française a réussi à créer dans le cœur des Hommes une grande patrie d'idéaux inaliénables, au-dessus des nationalités, des particularismes et des différences. Dans sa violente métabolế, la nécessité a souvent fait loi. Dans les champs de blé poussent, rebelles et magnifiques, les coquelicots. Le moissonneur les fauche en même temps que les épis dont on fait le pain qui nourrit les hommes. M.M. Au début de l'écriture de la Moisson. |
Photographies Patrick Argirakis