C'EST ÉCRIT...
Un feu d'herbes sèches eût tout aussi bien été leur éditeur.
René Char, Introduction à Feuillets d'Hypnos
La pensée de rester toute ma vie complètement inconnu n'a rien qui m'attriste.
Pourvu que mes manuscrits durent autant que moi, c'est tout ce que je veux.
Gustave Flaubert, Correspondance, 1852
Un chuchotement dans un silence si lourd
Je ne me suis jamais soucié d'être édité, ni d'être publié, ni de publier quoi que ce soit, poèmes, nouvelles ou pièces de théâtre. À quoi bon si c'est pour n'être lu que par soi ou se dissoudre dans le fatras médiatique des étals de libraires ? À l'âge où l'on n'est pas sérieux, je vis que le poème devenu une page typographiée, reliée à d'autres pages, plusieurs poèmes ainsi serrés les uns contre les autres constituant un livre, un «volume impersonnifié » (1), risquait de mourir ignoré de tous, ou pire encore, insoupçonné. C'est alors que je créai, en toute insouciance, mes premiers spectacles de poésie (2). De l'écriture poétique, je passai avec armes et bagages à la parole poétique. Sans me poser la question du sens. J'avais surtout envie de prendre la route. Échapper à la langue commune, au bien commun, au devenir commun. « Trouver une langue ». J'étais poète ; je pouvais être aussi porte-parole des poètes. Ce que j'écrivais, ce que d'autres – certains, illustres mais à peine lus – avaient écrit, je le mettais en scène, je le jouais. De l'Inimaginé, je cherchais la formule. De l'Action, j'embrassais à pleine joie chaque jaillissement. Et la poésie vivait. Après avoir traversé comme un météore l'atmosphère méphitique de l'art négociable, après être revenu de courses lointaines dans des pays chimériques, abordant quelquefois à des rivages interdits, j'amarrai mon bateau ivre dans un port jeté au milieu des forêts, et dont les amers crevaient un ciel de cendre. J'étais sans attaches et sans repos. Au bout du quai ruisselant de brume, une fée aux cheveux ignés chantait une mer apaisée. Du théâtre – ses promesses pourpres, ses sortilèges –, elle m'entrouvrit les portes. S'ensuivirent une centaine de spectacles, de récitals, de performances, de conférences et des milliers de représentations à travers le monde. En quarante ans d'errance, quelques textes furent publiés sans qu'il m'en souvienne vraiment comment ni pourquoi. Sans doute ai-je été quelquefois convaincu par quelque exubérant discoureur, peut-être ému, ou inspiré par une juste cause. Loin de moi cependant l'idée d'une quelconque utilité publique de tels actes mineurs. Alors pourquoi aujourd'hui être son propre publieur ? L'idée est certes dérisoire quand l'heure de la confrontation est proche. Imagine, lecteur, juste un chuchotement dans un silence si lourd... (1) « Impersonnifié, le volume, autant qu'on s'en sépare comme auteur, ne réclame approche de lecteur.»
Stéphane Mallarmé Quant au Livre, L'action restreinte (Lire Mallarmé avant beaucoup d'autres) (2) Reprise poétique individuelle, Révolte en noir et blanc, Réel imaginé, Démontage poétique, quatre spectacles réalisés avec des musiciens classiques (Pascale, d'une profonde sensibilité, et lumineuse pianiste), des rockers — genre «garage enragé» — ou des jazzmen (Michel, bassiste et contrebassiste virtuose, improvisateur surdoué). Je dis, j'interprète, je clame, je gueule mes propres textes comme ceux de Césaire, Rimbaud, Baudelaire, Bérimont, Kovacic. La rencontre avec Léo Ferré en janvier 69 est déterminante. Je suis encore lycéen mais je me suis déjà fait la malle ; je bosse le soir dans un petit restaurant pour payer une piaule minable et la bouffe quotidienne. Mauvaise passe de courte durée car mes dessins, gravures et toiles commencent à bien se vendre. Au bahut, je fais surtout de l'activisme anarcho-artistico-poétique. Je fonde un journal, L'Envers et l'Endroit (Le titre en hommage à Camus) dont je suis le rédac-chef et je crée et préside une association culturelle. |
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Mise à jour en cours
QUELQUES POÈMES (DE 1967 à AUJOURD'HUI)