Rimbaud modernité
Ouvrage collectif : Jean-Luc Steinmetz, Ernest Pignon-Ernest, Claude Jeancolas, Michel Mélin, François Bon
et des extraits de textes de Benjamin Fondane, Henry Miller, Paul Verlaine
Éditions A C A, 1992
Ouvrage collectif : Jean-Luc Steinmetz, Ernest Pignon-Ernest, Claude Jeancolas, Michel Mélin, François Bon
et des extraits de textes de Benjamin Fondane, Henry Miller, Paul Verlaine
Éditions A C A, 1992
IL (LUI) ET MOI (Extrait)
Quand je pars pour des exils volontaires, toujours me reviennent ces vers de Hawad
L'esprit nomade reprend sa route infinie
chant qui ne se soumet
ni aux lois ni aux épines des barbelés
Prolongement — horizon sur l'horizon — des mots-lumière de Rimbaud le passant
Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle.
Et à l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.
Rien n'est interdit à l'errance.
Ouvrir le monde, révéler les territoires inconnus, orchestrer les tumultes, jouir de la tempête, parer le désert de sa voix.
Être l'acteur de ses rêves, agir et ne pas être agi.
Toujours rebelle et ne pas s'assagir.
Sans transition ni repos. Sans passé et sans racines.
Noire nouvelle :
On a aperçu Rimbaud.
La mother est-elle au courant ?
Exubérante précision :
Loin de Charleville.
Il traînait sa douleur sur les docks dégoulinans de canicule puante de Hodeidah. Il cherchait du travail, paraît-il.
Dans sa valise de cuir écorché, il transporte sa mémoire. Il en perd un peu dans chaque port, à chaque départ, à chaque matin affamé.
Toujours, je porte en moi ses poèmes — œuvres complètes, hélas ! — qu'il a «oubliés» un peu partout, toutes ses lettres aussi.
Nous marchons rue El Qsar-El Eini au Caire, dans une agitation de parfums et de cris. Lui, le corps tendu dans la fièvre de cet ailleurs mystérieux.
Sur la foule qui houle, nous avons la même façon de tanguer, la même tignasse sculptée par les vents de sable.
Le regard des femmes nous effleurent le visage. Sensation de miel et de lune fondante.
Les hommes jettent sous nos pas des welcome d'une voix tiède et pudique.
Je ne suis pas Lui. Il n'est pas moi. Chacun de nous est une image en migration, une parole qui marche. Chacun peut s'échapper ou se dissoudre au centre de l'autre. Il peut disparaître merveilleusement comme Il le fait souvent.
[ ... ]
C'est ailleurs encore.
Le soleil se couche sur Beyrouth.
Sang et jasmin. Poussière rouge.
L'ombre s'enfonce dans la terre chaude et molle. La nuit maintenant. Plus rien de délimité, de précis, de fini. Tant de chuchotements et de chants ensevelis dans tes jardins.
Paupières closes. Rêves interdits. Rumeur continue, sourde, obsédante, percée par des aboiements de chien. Mugissement du vent dans les murs troués.
[ ... ]
J'ai entendu dire qu'il voulait partir pour Damas. Combien de jours de désert, et de nuits ?
Damas, caravane d'étoiles
J'y serai demain par le premier avion possible. Quelques battements d'ailes de goëland doré naviguant par-dessus les nuages.
Je L'attendrai. Je parlerai de Lui. Il viendra. Je Lui prêterai ma voix, mes yeux, ma bouche. Le public, Lui, moi, la terre, les pierres, le soleil, nous serons Un. La poésie est cette folie.
M.M.
Beyrouth, novembre 1991