Morgan Danveau, Les visages intérieurs
Doué d’une subtile intelligence émotionnelle et d’une faculté de vision, Morgan Danveau peint des figures, des masques, des portraits de personnages inconnus ou peut-être familiers, frères humains avec leurs secrets, leurs démons, leurs rêves, les maux qui les rongent, les déchéances et les inachevés qui sont aussi les nôtres. Il peint des visages-âmes. Il peint des visages intérieurs.
Le visage est le lieu de la révélation, de la distinction, du possible dialogue avec l’invisible. Le visage est fait pour l’autre, jamais pour soi. On ne se voit pas, sauf par un mirage.
L’art de Morgan Danveau est un miroir ontologique.
Tous ces visages intérieurs sont d’une grande singularité, aux expressions transgressives. Ils sont des représentations a- normales, semblant indiquer un passage vers un défini universel, celui de la condition humaine, violente, désespérée, bouleversante. Ils disent le désenchantement du monde.
D’une esthétique étonnante d’inventivité, chaque portrait est une image réflexive. Visages aux traits déformés, convulsifs, aux yeux qui brûlent, en proie au cauchemar, faces de cendre aux orbites caves, vidées par l’effroi ou fantomatiques souvenirs aux yeux blancs qui disent leur absence au monde. Un autre encore figé comme un masque, bouche ouverte emplie d’un cri impossible. Celui-là a le regard de Melancolia, celui-ci les yeux magnétiques d’une icône éthiopienne. Tel, les traits tordus, échappé d’un univers dystopique, tel autre n’est plus qu’un crâne à l’énorme mâchoire esquissant un sourire narquois.
Tous semblent avoir mené le combat avec l’ange.
Ils nous font face et nous croisons leur regard. Ils sont nous- mêmes. Ils regardent hors-champ et ce qu’ils voient nous est inaccessible.
Les fonds souvent discordants obligent la direction de notre regard, le ramenant inexorablement au portrait. Pas d’arrière-plan distinctif mais une sorte de paysage non-figuratif sans perspective. Pas d’échappée, pas de fuite possible.
Pour restituer la vérité du sujet, en coloriste affirmé et audacieux dans ses choix chromatiques, Morgan Danveau use d’une palette expressionniste, couleurs crues, éclatantes, violentes, parfois acides voire stridentes mais il peut aussi recourir à une gamme de tons plus frais, diaphanes, apaisants qu’il applique d’une touche rapide, énergique. Guidé par l’intuition et un jugement aiguisé qui font la grâce d’une œuvre réussie, il peint en toute spontanéité avec une ivresse dionysiaque propre aux visionnaires.
Être contemplateur et acteur tout à la fois de la comédie humaine impose, un jour ou l’autre, à l’artiste la nécessité du partage, de l’échange, de l’expérience sensorielle avec un public. Dessinant sur une tablette numérique en direct, sur le vif, Morgan est face aux spectateurs qui assistent ainsi, sur grand écran, au processus de création. La performance est rite d’initiation.
À un rythme rapide, parfois vertigineux, les images se créent strate par strate, par superposition de couleurs, les lignes s’affirment ou s’évaporent, le trait est variant, la couleur mouvante. Les taches et les aplats fusionnent ou se diluent. Nulle hésitation, nul vacillement dans l’exécution tant la technique est maîtrisée. Pas de répétition ni de mécanisation du geste, tout entier dans le jaillissement, la fulgurance. L’exercice est de haute voltige mais l’improvisateur est virtuose.
Toute performance est un lieu d’expérimentation, une terra incognita fragile, vivante, où trouver le lieu et la formule, un saut dans le vide que l’artiste renouvelle avec le même désir d’autrui, le même éclat afin que jamais l’acte artistique ne devienne une funeste aporie qui laisserait le spectateur dans le doute et la confusion alors qu’il doit être pour lui un saut dans le plein et le tirer à hauteur de l’œuvre.
L’âme humaine est la Prima Materia de Morgan Danveau, son chemin de la connaissance, son processus d’individuation artistique, son connais-toi toi-même socratique, jusqu’à devenir un Unique poétique.
Le monde imaginaire étant plus vaste que le monde réel, s’étant dépris des acquis, des habitudes, des codes, de tout ce qui peut rendre immobile et confortable, il échappe aux chronologies et aux classifications. Pas à pas, il invente son chemin. Et l’aube fleurie s’éveille à son approche.
Voici le temps des poètes.
Michel Mélin
Février 2024
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Doué d’une subtile intelligence émotionnelle et d’une faculté de vision, Morgan Danveau peint des figures, des masques, des portraits de personnages inconnus ou peut-être familiers, frères humains avec leurs secrets, leurs démons, leurs rêves, les maux qui les rongent, les déchéances et les inachevés qui sont aussi les nôtres. Il peint des visages-âmes. Il peint des visages intérieurs.
Le visage est le lieu de la révélation, de la distinction, du possible dialogue avec l’invisible. Le visage est fait pour l’autre, jamais pour soi. On ne se voit pas, sauf par un mirage.
L’art de Morgan Danveau est un miroir ontologique.
Tous ces visages intérieurs sont d’une grande singularité, aux expressions transgressives. Ils sont des représentations a- normales, semblant indiquer un passage vers un défini universel, celui de la condition humaine, violente, désespérée, bouleversante. Ils disent le désenchantement du monde.
D’une esthétique étonnante d’inventivité, chaque portrait est une image réflexive. Visages aux traits déformés, convulsifs, aux yeux qui brûlent, en proie au cauchemar, faces de cendre aux orbites caves, vidées par l’effroi ou fantomatiques souvenirs aux yeux blancs qui disent leur absence au monde. Un autre encore figé comme un masque, bouche ouverte emplie d’un cri impossible. Celui-là a le regard de Melancolia, celui-ci les yeux magnétiques d’une icône éthiopienne. Tel, les traits tordus, échappé d’un univers dystopique, tel autre n’est plus qu’un crâne à l’énorme mâchoire esquissant un sourire narquois.
Tous semblent avoir mené le combat avec l’ange.
Ils nous font face et nous croisons leur regard. Ils sont nous- mêmes. Ils regardent hors-champ et ce qu’ils voient nous est inaccessible.
Les fonds souvent discordants obligent la direction de notre regard, le ramenant inexorablement au portrait. Pas d’arrière-plan distinctif mais une sorte de paysage non-figuratif sans perspective. Pas d’échappée, pas de fuite possible.
Pour restituer la vérité du sujet, en coloriste affirmé et audacieux dans ses choix chromatiques, Morgan Danveau use d’une palette expressionniste, couleurs crues, éclatantes, violentes, parfois acides voire stridentes mais il peut aussi recourir à une gamme de tons plus frais, diaphanes, apaisants qu’il applique d’une touche rapide, énergique. Guidé par l’intuition et un jugement aiguisé qui font la grâce d’une œuvre réussie, il peint en toute spontanéité avec une ivresse dionysiaque propre aux visionnaires.
Être contemplateur et acteur tout à la fois de la comédie humaine impose, un jour ou l’autre, à l’artiste la nécessité du partage, de l’échange, de l’expérience sensorielle avec un public. Dessinant sur une tablette numérique en direct, sur le vif, Morgan est face aux spectateurs qui assistent ainsi, sur grand écran, au processus de création. La performance est rite d’initiation.
À un rythme rapide, parfois vertigineux, les images se créent strate par strate, par superposition de couleurs, les lignes s’affirment ou s’évaporent, le trait est variant, la couleur mouvante. Les taches et les aplats fusionnent ou se diluent. Nulle hésitation, nul vacillement dans l’exécution tant la technique est maîtrisée. Pas de répétition ni de mécanisation du geste, tout entier dans le jaillissement, la fulgurance. L’exercice est de haute voltige mais l’improvisateur est virtuose.
Toute performance est un lieu d’expérimentation, une terra incognita fragile, vivante, où trouver le lieu et la formule, un saut dans le vide que l’artiste renouvelle avec le même désir d’autrui, le même éclat afin que jamais l’acte artistique ne devienne une funeste aporie qui laisserait le spectateur dans le doute et la confusion alors qu’il doit être pour lui un saut dans le plein et le tirer à hauteur de l’œuvre.
L’âme humaine est la Prima Materia de Morgan Danveau, son chemin de la connaissance, son processus d’individuation artistique, son connais-toi toi-même socratique, jusqu’à devenir un Unique poétique.
Le monde imaginaire étant plus vaste que le monde réel, s’étant dépris des acquis, des habitudes, des codes, de tout ce qui peut rendre immobile et confortable, il échappe aux chronologies et aux classifications. Pas à pas, il invente son chemin. Et l’aube fleurie s’éveille à son approche.
Voici le temps des poètes.
Michel Mélin
Février 2024
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